Pour bien comprendre le problème, il faut d’abord rappeler les avantages de la gestion collective des droits, particulièrement pour les concerts.
Avantages pour les titulaires de droits
Premièrement, la gestion collective permet de mutualiser les frais. Les services de SUISA sont financés par une retenue sur les redevances versées aux titulaires de droits. Les personnes qui touchent beaucoup d’argent paient donc une plus grande part de frais que les artistes encore méconnus ou les petites maisons d’édition. De la sorte, SUISA peut offrir ses services à tous les titulaires de droits, quel que soit leur degré de notoriété ou leur importance économique.
Les sociétés de gestion administrent aussi des fonds sociaux, destinés à verser des rentes aux personnes ayant atteint l’âge de la retraite, ainsi qu’à leurs veuves, veufs et orphelins. D’autre part, elles ont constitué des fonds culturels, qui soutiennent financièrement de nombreux projets venant enrichir la vie culturelle en Suisse. Ces fonds (administrés par des fondations) sont alimentés par une retenue sur les redevances versées. Par conséquent, là aussi, les ayants droit à succès contribuent plus que celles et ceux qui ont des revenus limités.
Enfin, la gestion collective repose sur l’idée que «l’union fait la force». C’est précisément parce que SUISA représente un grand nombre d’ayants droit très divers, connu-e-s et inconnu-e-s, qu’elle peut obtenir de bons revenus de licence en leur faveur.
En bref, pour les créateurs, les créatrices et les maisons d’édition, la gestion collective des droits maximise les avantages de la solidarité.
Avantages pour les organisateurs et organisatrices
Comme elle gère les droits d’un grand nombre de personnes, SUISA offre un guichet unique aux organisateurs/trices de concerts: tous les droits peuvent être acquis auprès d’une seule adresse, sans complication excessive. Cela d’autant plus que SUISA a passé des contrats de représentation réciproque avec les sociétés de gestion étrangères actives dans le domaine musical. Sur cette base, elle exerce en Suisse les droits sur la quasi-totalité du répertoire mondial de musique protégée.
Vu sa position dominante, SUISA ne peut réclamer des redevances que selon des tarifs négociés avec les associations d’organisateurs/trices, puis approuvés par la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur et de droits voisins (art. 46 LDA). Contre les décisions de celle-ci, des recours sont possibles, d’abord au Tribunal administratif fédéral puis au Tribunal fédéral. Il y a donc un contrôle étatique assurant que les tarifs pratiqués par SUISA soient conformes au droit.
En bref, pour les organisateurs/trices, la gestion collective des droits permet la sécurité juridique, la prévisibilité budgétaire et elle les protège contre les tarifs excessifs.
Le problème
D’après l’art. 40 LDA, la gestion des droits sur la musique exécutée en concert est soumise à la surveillance de la Confédération. Cela signifie qu’elle nécessite une autorisation délivrée par l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI, cf. art. 41 LDA), laquelle ne sera en général accordée qu’à une seule société (art. 42 al. 2 LDA). La gestion de droits sans l’autorisation nécessaire est pénalement punissable d’après l’art. 70 LDA.
La LDA prévoit une exception à ce système lorsque les droits sont gérés «par l’auteur lui-même ou par ses héritiers» (art. 40 al. 3 LDA). Par une décision du 5 mai 2023, l’IPI a considéré que cette réserve de la gestion personnelle permettait aussi aux titulaires de droits de se faire représenter par une agence. Cette décision a donc ouvert un peu plus la porte aux licences directes.
Celles-ci peuvent avoir des causes diverses: certains ayants droit considèrent que la gestion collective leur coûte trop cher, d’autres ne veulent plus contribuer aux fonds sociaux et culturels des sociétés de gestion, d’autres encore veulent pouvoir réclamer des redevances supérieures à celles des tarifs approuvés officiellement. Mais, quoiqu’il en soit, les licences directes sont problématiques car elles portent atteinte à la solidarité entre ayants droit ainsi qu’à la sécurité juridique et à la prévisibilité budgétaires pour les organisateurs/trices de concerts.
Les solutions
Pour endiguer le phénomène, il était nécessaire que la gestion des droits par SUISA en cas de grands concerts soit plus attractive pour les ayants droit.
En matière de concerts, les retenues qu’elle pratique sont en principe de 15% pour les frais de gestion et de 10% pour les fonds socio-culturels. Toutefois, il faut aussi tenir compte du fait que les ayants droit dont les œuvres sont jouées en concerts bénéficient de suppléments lors de la répartition des droits. Ceux-ci proviennent, notamment, de redevances concernant d’autres domaines, qui ne peuvent pas être réparties précisément faute d’informations sur les bénéficiaires. Globalement, on peut dire que les ayants droit touchent plus de 85% du montant que SUISA encaisse auprès de l’organisateur/trice de concerts. Mais cela n’est pas suffisant, vu les commissions pratiquées par les agences de licences directes. Aussi le Conseil de SUISA a-t-il adopté, en automne 2024, de nouvelles conditions pour certains grands concerts, qui augmentent ce rapport à plus de 95%. SUISA a également passé un accord avec sa société-sœur en Allemagne, la GEMA, afin d’approcher ensemble les grands artistes internationaux et de leur montrer concrètement les avantages de la gestion collective. Cela se fait via une plateforme commune, dénommée «One Arena».
Ces mesures ont pour but que les grands ayants droit restent dans le giron de la gestion collective, plus sûre et plus lucrative pour eux, ce qui profitera aux artistes moins connus et aux sociétés d’organisation de concerts. Mais, pour atteindre cet objectif et pour assurer le futur, l’aide du législateur est indispensable. Une révision de l’art. 40 LDA serait nécessaire pour réduire au minimum les cas de licences directes. Il ne serait pas exagéré que le pouvoir politique se saisisse du problème, car il y a bien un intérêt public en jeu: celui de soutenir les artistes en devenir et de faciliter le respect du droit d’auteur par celles et ceux qui organisent des concerts.
Dans cette affaire, SUISA et l’association des organisateurs/trices d’événements (SMPA) interviendront ensemble auprès du législateur.