La loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA) permet aux consommatrices et aux consommateurs suisses d’effectuer des copies pour eux-mêmes, leurs amis et leurs proches, quelle que soit la source de l’original. La loi prévoit une redevance pour ces copies privées depuis 1992. Cette redevance n’est cependant pas perçue auprès de celles et ceux qui effectuent les copies – à savoir les consommatrices et les consommateurs privés – mais auprès des fabricants et des importateurs des supports vierges utilisés.
Au début, il ne s’agissait que de cassettes audio que l’on plaçait dans un magnétophone en attendant que sa chanson préférée passe à la radio ou que l’on copiait à partir de CD pour pouvoir les écouter en déplacement sur son walkman. De même, les cassettes VHS que l’on utilisait pour enregistrer des émissions de télévision faisaient partie des premiers supports concernés par la redevance. Plus tard sont arrivés les CD et DVD vierges, sur lesquels on pouvait graver de la musique et des films.
Aujourd’hui, la redevance sur les supports vierges s’applique principalement aux supports de stockage numériques intégrés dans des smartphones et des tablettes. Ils offrent une multitude de possibilités pour enregistrer de la musique, des films ou d’autres œuvres. La redevance exigible est prélevée à titre forfaitaire pour chaque support vierge, quelles que soient l’ampleur de l’usage ou la nature des œuvres copiées à titre privé. SUISA est chargée de percevoir la redevance auprès des fabricants et des importateurs d’appareils et d’en assurer la répartition à celles et ceux qui fournissent l’objet de la copie, à savoir les auteurs et interprètes des œuvres musicales, les cinéastes, les écrivains, etc.
Comment les revenus issus de la redevance sur les supports vierges sont-ils répartis?
En premier lieu, il s’agit de procéder à la répartition entre les cinq sociétés suisses de gestion, pour lesquelles SUISA perçoit l’ensemble des redevances: ProLitteris, SSA, SUISA, Suissimage et Swissperform. Cette répartition est basée sur la part du répertoire copié que représente la société en question. Ces parts sont calculées grâce à des enquêtes représentatives. Ces dernières ne fournissent cependant pas d’indications sur les œuvres utilisées concrètement, mais indiquent seulement s’il s’agit de musique, de films/ vidéos, d’images ou de textes.
SUISA distribue à ses membres la part qu’elle perçoit pour la copie privée d’œuvres musicales en l’affectant à différentes classes de répartition. Il n’est pas possible de procéder à une répartition directe, étant donné que l’on ne connaît pas les œuvres concrètement copiées, enregistrées ou téléchargées à partir d’Internet, ni à quelle fréquence elles le sont. En plus d’une intervention dans la sphère privée des consommatrices et des consommateurs, ce type de recensement entraînerait un coût inacceptable. C’est pourquoi SUISA attribue les revenus issus de la redevance sur les supports vierges à différentes classes de répartition, pour lesquelles elle dispose d’informations détaillées sur les œuvres concernées.
Par le passé, ces affectations reposaient sur des considérations concernant l’origine de la copie privée: on partait par exemple du principe qu’une partie des copies privées était réalisée à partir de CD; les recettes provenant de la redevance sur les supports vierges étaient donc affectées dans la même proportion aux classes de répartition concernant la fabrication des CD. De même pour les émissions de radio et de télévision: on affectait une partie de la redevance aux classes les concernant, en admettant qu’une autre partie des copies privées provenait de la radio/télévision.
D’où proviennent les œuvres copiées à titre privé aujourd’hui?
De nos jours, une grande partie des copies privées est réalisée à partir d’Internet. Peut-on par conséquent affecter les revenus de la redevance sur les supports vierges aussi aux classes de répartition concernant les utilisations en ligne? Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples.
D’une part, parce que SUISA ne représente pas la totalité des droits pour la musique utilisée sur Internet. Dans ce domaine, SUISA est concurrencée par des sociétés de gestion étrangères et ne peut donc pas proposer l’intégralité du répertoire musical mondial. Autrement dit, les classes de répartition correspondant aux utilisations en ligne ne reçoivent de l’argent que pour une partie des œuvres utilisées sur Internet. Pourtant, ces œuvres ne sont pas les seules à être copiées à titre privé, c’est le cas également pour toutes les autres œuvres du répertoire mondial. Par conséquent, si l’on affectait les revenus de la redevance sur les supports vierges aux classes de répartition correspondant aux utilisations en ligne, une grande partie des œuvres copiées à titre privé ne serait pas rémunérée.
D’autre part, il est interdit de percevoir une redevance sur les supports vierges pour les œuvres mises à disposition licitement contre rémunération (interdiction des «doubles paiements», prévue par l’art. 19 al. 3bis LDA). Cela concerne aussi bien la musique proposée par les services de téléchargement comme iTunes que celle des plateformes de streaming comme Spotify. Les revenus que SUISA perçoit de ces services et plateformes sont répartis dans les classes correspondantes sur la base des informations concernant les œuvres qu’ils utilisent. Mais la législation interdit justement de percevoir la redevance sur les supports vierges pour des téléchargements de telles œuvres, ou pour leur enregistrement à partir d’un service de streaming pour une écoute hors ligne. C’est pourquoi il ne serait pas justifié d’attribuer aux œuvres en question des revenus provenant de la redevance sur les supports vierges.
Mais les titres téléchargés sont souvent copiés une nouvelle fois. Qu’en est-il dans ce cas? – Il est vrai que, contrairement à ce qui vaut pour le téléchargement initial ou la sauvegarde hors ligne à partir d’un service de streaming, ces copies ultérieures tombent sous le coup de la redevance sur les supports vierges. Or, personne ne sait dans le détail quelles œuvres sont concernées et combien de fois elles ont été copiées. Il s’agit donc de trouver un moyen pour répartir indirectement les revenus de la redevance sur les supports vierges concernant ces œuvres, comme pour toutes les autres œuvres copiées à des fins privées.
Comment les nouvelles circonstances sont-elles prises en compte par le règlement de répartition?
Étant donné que, dans les circonstances actuelles, une répartition basée sur les sources de la copie privée conduit à des résultats incorrects, nous avons sollicité l’institut d’études de marché gfs-zürich pour rechercher d’autres méthodes permettant de répartir les revenus de la redevance sur les supports vierges de manière la plus équitable possible. gfs-zürich a mené une étude représentative à cet effet. Les consommateurs ont dû indiquer de quelle manière la dernière œuvre qu’ils avaient copiée à titre privé était utilisée (quelle que soit l’origine de la copie): en concert, au cinéma, à la radio, à la télévision, sur un nouveau CD/LP ou DVD? Pour ces autres «canaux» de distribution de la musique, SUISA a suffisamment d’informations sur les œuvres utilisées. Elle peut ainsi utiliser ces informations comme base pour répartir les revenus de la redevance sur les supports vierges.
Désormais, ces revenus sont donc affectés aux classes de répartition employées pour les utilisations dans ces autres canaux de distribution. Cela correspond au principe formulé au chiffre 5.3.2 du Règlement de répartition (RR): «Les redevances encaissées sans programme d’utilisation sont affectées aux classes de répartition dans lesquelles les œuvres d’un genre identique ou similaire prédominent.» Dans certains cas, il n’a pas été possible de déterminer d’autres canaux de distribution. La part correspondante des revenus issus de la redevance sur les supports vierges sera donc attribuée aux classes de répartition pour les stations de radio, parce qu’elles disposent du répertoire le plus large et que les ayants droit seront ainsi les plus nombreux à en bénéficier.
Ainsi, le chiffre 5.5.5 est reformulé en ces termes:
Chiffre 5.5.5 | TC 4 (supports vierges), 4i (mémoires numériques intégrées dans des appareils) – Redevance sur les supports vierges | |||
Classe de répartition | ||||
– | Audio | 33,0% | 1A | |
28,0% | 2A | |||
(licence nationale) | 11,5% | 21A | ||
(licence centralisée) | 11,5% | 21Z | ||
16,0% | 4 | |||
– | Vidéo | 16,0% | 1C | |
12,0% | 22A | |||
14,0% | 2C | |||
8,0% | 9A | |||
17,0% | 1A | |||
17,0% | 2A | |||
Les 16% restants sont affectés aux redevances de télévision pour les émetteurs étrangers du tarif TC 1. | ||||
Dans le cas des téléphones portables et des tablettes du TC 4i, les recettes doivent être réparties à raison de 90% sur l’audio et 10% sur la vidéo. Pour les autres supports vierges des TC 4 et TC 4i, la clé de répartition découle du type de supports vierges. |
L’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle a approuvé cette modification le 6 avril 2021 et nous attendons l’aval de l’autorité de surveillance de la Principauté du Liechtenstein dans les prochaines semaines. La modification entrera en vigueur trois mois après son approbation et pourra donc être appliquée pour la prochaine répartition des revenus de la redevance sur les supports vierges en septembre 2021.
Qui profitera du changement et qui recevra moins d’argent pour la copie privée?
Globalement, les modifications de l’affectation des revenus provenant de la redevance sur les supports vierges a un impact positif: les auteurs et les éditeurs recevant plus d’argent sont presque trois fois plus nombreux que ceux qui ne profitent pas du changement. Cela étant, l’impact positif pour la majorité des membres se traduira par de faibles montants. Ceux qui subiront une baisse de leurs revenus issus de la redevance sur les supports vierges le ressentiront en revanche plus fortement.
Nous sommes néanmoins convaincus que cette réforme était nécessaire et qu’elle est équitable. En effet, les diminutions résultent principalement de la suppression des affectations aux classes de répartition pour les utilisations en ligne, et de la réduction de celles en faveur de la classe de répartition 21Z, qui concerne les licences centralisées pour la production de CD. Nous avons expliqué précédemment pourquoi l’affectation aux classes de répartition pour les utilisations en ligne est aujourd’hui inappropriée.
Une affectation à la classe de répartition 21Z pour les licences centralisées, à hauteur de 33% comme pratiquée jusqu’à maintenant, ne se justifie plus non plus: en effet, elle a été décidée à une époque où le marché de la musique enregistrée était en plein essor et où SUISA percevait environ 25 millions de francs suisses par an pour la production de CD. Pour l’année 2019, cependant, le montant à répartir en provenance des licences centralisées n’a été que d’environ 1 million de francs, alors que 2,3 millions de francs ont été affectés à la classe de répartition 21Z en provenance de la redevance sur les supports vierges. Autrement dit, un ayant droit recevant Fr. 1.– pour la distribution de ses œuvres sur CD recevait Fr. 2.17 au titre de la redevance sur les supports vierges!
Le déclin du marché du disque a donné aux affectations une importance plus grande que ce qui était prévu à l’origine. Une minorité d’ayants droit s’est ainsi retrouvée avantagée au détriment de la majorité. Les corrections apportées sont maintenant plus équitables pour tous et nous comptons sur la compréhension de celles et ceux qui recevront à l’avenir moins d’argent en provenance de la redevance sur les supports vierges.
Informations supplémentaires:
Règlement de répartition de SUISA