Le Gala de la 13e édition des Swiss Music Awards, le 28 février 2020, a marqué le début des restrictions touchant les événements musicaux pour la Suisse entière. Pour cette soirée, seules 1000 personnes ont pu participer à la manifestation. Ceux qui pensaient encore que la pandémie de Covid-19 disparaîtrait d’elle-même, un peu comme une simple grippe, ont vite déchanté: à partir du 13 mars 2020, les concerts en live ont été interdits, de même que les fêtes dans les Clubs. Par la force des choses, l’industrie musicale a été privée d’une base existentielle; les compositeurs-trices et les interprètes ont été touchés, de même que les entreprises sous-traitantes du secteur événementiel.
Nous vivons maintenant la deuxième année de pandémie et, depuis 20 mois, nous sommes face à d’énormes difficultés pour organiser des événements musicaux avec un public physiquement présent. Comment SUISA gère-t-elle cette situation en tant que coopérative des auteurs et éditeurs de musique et en tant que société de gestion?
Pertes financières et incertitudes
Environ un mois après que le premier confinement ait été ordonné, la Direction et le Conseil ont révisé le budget pour l’année 2020. Ce «budget Corona» a pu être tenu; il prévoyait des recettes plus basses de 23% et des coûts 8,5% plus élevés, par rapport aux attentes initiales. Comme les comptes annuels l’ont finalement montré, la perte globale de chiffre d’affaires est heureusement restée dans les limites de l’acceptable: les recettes de SUISA en Suisse et à l’étranger se sont élevées à CHF 138,5 mio. en 2020, ce qui correspond à une baisse de 12% par rapport à l’année précédente, qui avait été une année record (CHF 155,2 mio.). Les coûts n’ont augmenté que de 1,1% par rapport à l’année précédente, soit moins que ce que prévoyait le budget Corona.
Les effets radicaux des ordonnances Corona n’apparaissent clairement que lorsqu’on examine les différents domaines: la baisse est vraiment nette pour les recettes provenant des concerts (–51%), les manifestations dansantes et récréatives (–47%), l’hôtellerie-restauration (–46%) et les cinémas (–58%), si l’on compare avec le résultat 2019. Les bons résultats pour les droits d’émission, les droits à rémunération et les utilisations online ont partiellement compensé ces pertes. Les ayants droit dont le revenu provient principalement des événements en live ont subi toutefois de grandes pertes.
En décembre 2020, en raison de la deuxième vague de la pandémie, tous les événements ont été à nouveau interdits. Une fois de plus, un budget Corona a dû être établi, dans lequel les attentes en matière de recettes pour l’exercice 2021 étaient à nouveau revues à la baisse, de –11% par rapport au résultat 2020. En même temps, les coûts devaient églalement être réduits de 11% par rapport à l’année précédente. En ce qui concerne plus particulièrement les recettes provenant des concerts (tarif K), il faut s’attendre à une nouvelle diminution: les prévisions pour la deuxième année de Corona prévoient encore une baisse de CHF 6 mio. de recettes dans ce domaine. En 2020, ce tarif a généré CHF 11 mio. et avant la crise, en 2019, encore CHF 23 mio. de redevances en faveur des auteurs et éditeurs de musique.
Deux «réserves» sont d’un grand secours face à cette situation et pourront, si l’on en croit les circonstances actuelles, également contribuer à amortir dans une certaine mesure les conditions cadres défavorables pour le résultat financier de l’exercice 2021: d’une part, il s’agit de la bonne situation en ce qui concerne les placements en titres. D’autre part, il s’agit des montants qui ne peuvent pas être attribués à un ayant droit et qui sont libérés après cinq ans. Après ce délai, ces montants sont utilisés pour couvrir les frais et si possible pour une répartition complémentaire.
Mesures d’aide pour les ayants droit
Dans le contexte de la pandémie, toutes les sociétés de gestion d’Europe ont mis en place des mesures d’aide en faveur de leurs ayants droit. Les mesures d’aide de SUISA se basent sur trois piliers: premièrement, l’octroi d’avances sur les décomptes avec un délai de remboursement prolongé, deuxièmement, des contributions provenant d’un fonds d’aide Corona constitué spécialement à cet effet et troisièmement, des aides d’urgence en faveur des auteurs, provenant de la Fondation en faveur des auteurs et éditeurs (FPAE).
Depuis le début de la crise du coronavirus en mars 2020 et jusqu’au 25 octobre 2021, le montant des avances payées est de CHF 1 416 084, les contributions en provenance du fonds d’aide représentent un montant de CHF 251 250 et la somme des aides d’urgence (FPAE) s’élève à CHF 170 500. Il est encore possible de soumettre des demandes via le portail «Mon compte». Pour de nombreux ayants droit, l’ampleur des pertes n’apparaîtra qu’avec un certain décalage dans le temps, en 2021 ou 2022, avec des montants répartis qui seront inférieurs dans de nombreux cas, parce que les événements n’ont pas pu avoir lieu en 2020 et 2021. Pour les maisons d’édition, il est possible d’obtenir des avances ou des contributions en provenance du fonds d’aide Corona. Pour des raisons juridiques, l’aide d’urgence en provenance de la FPAE n’est possible que pour les auteurs.
Lobbying
Avec les interdictions des représentations devant un public, l’ensemble du secteur de l’événementiel a été durement touché. Les interprètes, les organisateurs d’événements, les techniciens et autres employés du domaine se sont retrouvés sans travail et sans revenu du jour au lendemain. Pour les auteurs, l’arrêt des concerts signifiait que leurs œuvres n’ont plus pu être jouées en live et que, par conséquent, aucune rémunération pour l’exécution de leur musique n’était versée. Les recettes des événements en live ont chuté à un niveau historiquement bas, comme décrit précédemment. Pour de nombreux ayants droit, ces redevances de droits d’auteur constituent une base existentielle.
Les premières mesures d’aide de la Confédération se sont avérées lacunaires et, de plus, peu orientées vers la résolution des problèmes du domaine culturel. Dans ce contexte, le lobbying a pris une importance énorme dans la crise. Il a fallu (et il faut encore) convaincre les autorités, le parlement et le gouvernement que la culture est vitale pour une société, exactement comme le sont les magasins pour les besoins du quotidien. Si des événements culturels sont interdits, les artistes, les organisateurs, mais aussi les maisons d’édition et les sous-traitants concernés doivent être indemnisés. Il convient de tenir compte du fait que de nombreux indépendants ou de petites organisations, par exemple des associations, sont actifs dans le monde culturel.
En outre, il est important de comprendre qu’il existe différents types d’événements; des études ont montré que le risque de contagion est souvent moindre lors d’événements culturels que, par exemple, lors de grandes manifestations sportives ou de fêtes populaires. Jusqu’ici, le lobbying n’est pas parvenu à bien faire accepter cette différenciation par les décideurs. Néanmoins, la «taskforce culture», qui s’est constituée spontanément pendant la crise, a accompli beaucoup de choses et constitue désormais un interlocuteur important dans le contact avec les autorités. SUISA fait partie du groupe élargi de la taskforce.
Diriger et travailler à distance
Près de 250 personnes travaillent pour la coopérative SUISA, pour 187 postes à plein-temps. Pendant la semaine du 16 au 23 mars 2020, tous les employés dont le travail est également possible depuis le domicile ont été priés de rester chez eux. Les responsables de l’informatique ont rapidement mis en place le planning nécessaire à cette action improvisée et ont fait en sorte que le travail puisse se poursuivre à domicile sur les équipements de l’employeur sans difficultés majeures.
La recommandation de homeoffice émise par les autorités (et plus tard l’obligation de homeoffice) n’a pas seulement représenté un défi d’un point de vue technique, mais elle a également apporté des expériences complètement nouvelles en termes de gestion et d’organisation de l’entreprise. Comment joindre ses employés et collègues si on n’a pas la possibilité de se rendre dans le bureau voisin et lorsque les salles de réunion et de pause sont inutilisables?
Les possibilités existantes de réunions virtuelles et de discussions par vidéoconférence ont été élargies. Grâce à ces outils techniques, il a été possible de maintenir le lien essentiel au bon travail entre les cadres et les collaborateurs, mais aussi entre les collègues. Les cadres ont été formés pour gérer leurs collaborateurs «à distance». Tous les quinze jours, une réunion en ligne était organisée avec la Direction, les responsables des RH et de l’informatique, animée par le chef de la Communication. Tous les employés y étaient conviés et pouvaient poser des questions. De cette façon, il a été possible de faire en sorte que la collaboration à distance se fasse dans le cadre d’une routine quotidienne de travail.
L’organisation au sein de l’entreprise a bien fonctionné, grâce à des employés flexibles, engagés et disciplinés, et aussi grâce aux possibilité offertes par la numérisation. SUISA a toujours été disponible pour ses membres et ses clients. Cette expérience a incité la Direction à autoriser le home office à l’avenir également, et ceci nouvellement jusqu’à 50% du temps de travail. Toutefois, le homeoffice doit faire l’objet d’une coordination au sein des équipes et n’est possible que de manière restreinte pour certains postes.
Davantage de self-service – Automatisation des processus
Le télétravail, en partie imposé, a démontré une fois de plus à quel point la numérisation est indispensable et importante pour une société de gestion collective comme SUISA. Le travail à domicile n’est possible que si les données nécessaires sont disponibles sous forme électronique et qu’il n’est pas nécessaire de consulter de volumineux dossiers sur papier. Pour la première fois et de manière évidente, il a été possible de démontrer les immenses avantages de la numérisation de tous les dossiers de membres et de clients, effectuée ces dernières années. Les développements au niveau de l’informatisation des processus ont également contribué au succès du passage rapide au travail à domicile.
Pour les clients et les membres de SUISA, la numérisation est synonyme de progrès pour des contacts efficaces et satisfaisants avec l’entreprise. En raison des mois de fermeture imposés par les autorités dans l’hôtellerie-restauration et dans le secteur de la vente, de nombreux clients ont demandé le remboursement de la licence pour l’exécution de musique. Aujourd’hui, le processus de remboursement peut être fait au moyen d’un formulaire web.
Depuis le milieu de l’année 2020, les membres peuvent accéder au «Royalty Report» depuis le portail «Mon compte». Tous les membres disposant d’un accès en ligne peuvent consulter les données mises à jour concernant leurs œuvres et les licences octroyées; une vue d’ensemble et diverses fonctions de filtrage sont possibles. Récemment, une authentification à deux facteurs a été introduite pour la procédure de connexion des membres et des clients, ce qui offre une sécurité encore plus grande dans les échanges numériques avec SUISA. D’autres développements vont suivre.
Les applications et les projets de numérisation mentionnés n’ont pu être mis en œuvre avec succès et dans les délais impartis que parce que les employés ont pu y travailler sans restriction, même durant la pandémie. Après de longues discussions, la Direction et le Conseil de SUISA ont renoncé à demander l’introduction du chômage partiel (RHT) pour les employés. Une décision sage, comme le montre de plus en plus clairement la situation vécue depuis mars 2020: ces derniers mois, SUISA a pu développer considérablement ses services, en quelque sorte sous la contrainte des exigences des autorités en lien avec la pandémie. Malgré des pertes de recettes, nous sommes prêts pour l’avenir avec des processus davantage numérisés et automatisés afin de pouvoir continuer à régler les licences musicales pour les organisateurs et à procéder à des répartitions de manière fiable et avec une bonne maîtrise des coûts, en faveur des ayants droit.