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«Rien ne vaudra jamais une chanson bien écrite»

«Rien ne vaudra jamais une chanson bien écrite»
Avec son nouveau projet Mule & Man, Tobias Jundt se produira en live avec Kid Simius (debout) le samedi 17 septembre 2016 aux Docks lors du Festival Label Suisse. (Photo: Melissa Jundt)
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Pour Tobias Jundt, son succès international avec Bonaparte constitue aujourd’hui le point culminant de sa longue carrière d’auteur-compositeur. Il a composé plusieurs centaines de titres, créé dans une large variété stylistique, pour ou avec d’autres artistes. Ce Bernois qui vit à Berlin transmet ses connaissances et son expérience de compositeur en tant que professeur invité à la Haute école des arts de Zurich dans la matière «Songwriting». Voici une interview avec ce membre de SUISA nominé au Grand Prix de musique 2016 et qui se produira avec son nouveau groupe Mule & Man au Festival Label Suisse à Lausanne.

Que signifie pour vous la nomination au Grand Prix de musique de l’Office fédéral de la culture?
Tobias Jundt: Je suis bien sûr honoré que mon art soit reconnu et apprécié en tant que tel. Quand on crée quelque chose qui tombe normalement plutôt entre deux catégories et ne rentre pas dans un moule, il faut du temps pour être perçu comme un artiste avec son propre langage. Etant donné la diversité de l’offre, il est presque impossible de comparer les créations des uns et des autres ou de les pondérer. Mais après 30 ans de carrière comme auteur-compositeur, je suis vraiment flatté de pouvoir contribuer à représenter le langage culturel de mon pays en tant que voix musicale possible.

L’OFC remet en 2016 le Grand Prix de musique en amont du Festival Label Suisse. Pendant 3 jours, ce festival présente à Lausanne principalement de la musique suisse de divers genres. L’entrée aux concerts est gratuite. Pourquoi la musique suisse a-t-elle besoin d’un prix de musique de l’OFC et d’un festival comme Label Suisse?
Je pense que nous pouvons tout simplement nous estimer heureux d’appartenir à un Etat qui prend le temps de rendre hommage à l’art, et qui, par chance, a également les moyens de faciliter pendant un certain temps le travail aux artistes honorés grâce à ce prix. Même sans prix, toutes les personnes nominées feraient sans relâche ce qu’elles font et défieraient les aléas de la vie. Nous devons accepter avec reconnaissance le soutien de l’OFC qui nous permet d’avoir le vent en poupe pour avancer.
Quant aux festivals, ils sont des lieux de découverte. Les auditeurs découvrent des groupes de musique, les artistes découvrent d’autres artistes, des collaborations naissent et, accessoirement, le fan d’accordéon schwyzois tombe amoureux de l’amateur de Stockhausen. Les festivals ne remplaceront jamais l’expérience d’un concert d’un seul artiste pendant toute une soirée, mais ils sont très importants comme lieux d’échanges et de confrontations d’expressions. La défense d’une culture vaste et cosmopolite représente toujours la bonne voie.

«Il faut de l’endurance, une combativité implacable et de la ténacité lorsqu’on veut vivre pleinement la poussée artistique.»

Vous avez dit un jour au journal NZZ qu’en Suisse on ne peut survivre qu’avec de la musique pop grand public ou dans des genres fortement subventionnés comme le jazz ou la musique classique. Qu’est-ce qui doit changer pour que la diversité des créateurs de musique suisses se fasse entendre de plus en plus, tant en Suisse qu’à l’étranger?
L’un des problèmes est qu’une niche musicale se concentrant uniquement sur la Suisse est vraiment petite. Par conséquent, on ne peut pas l’exercer comme profession principale, mais plutôt comme activité secondaire. Il faut donc soit évoluer dans un genre qui se vend bien, soit dans un environnement subventionné, ou tout simplement s’attaquer à un plus grand territoire géographique. La dernière option demande de l’endurance, une combativité implacable et de la ténacité lorsqu’on veut vivre pleinement la poussée artistique. A moins que la motivation pour cette folie artistique ne soit ancrée très profondément, la plupart des Suisses n’ont malheureusement aucune raison urgente de mettre en danger la qualité de vie qui prévaut déjà. Il faut quand même être un peu fou pour être prêt à y renoncer, au moins temporairement, pour cultiver un champ musical difficile à l’extérieur. Lors de mes voyages, je rencontre régulièrement des Suisses qui sont très actifs à l’étranger. C’est certainement plus une question d’attitude que de manque de talent.

Depuis 2006, vous vivez et travaillez à Berlin et vous y êtes bien établi. Comment peut-on exister en tant qu’auteur-compositeur suisse à l’étranger et comment la musique suisse est-elle perçue à l’étranger selon vous?
La plupart des gens de ce système solaire adorent la Suisse et ce qu’elle incarne. On a tendance à l’oublier lorsqu’on reste assis trop longtemps sur la montagne. Quand je compose de la musique pour d’autres artistes à Berlin ou à New York, personne ne me demande jamais où j’ai grandi. Il s’agit toujours d’une seule chose: écrire l’œuvre adaptée à la phase correspondante d’un artiste. A cet égard, il peut s’agir de succès commercial ou d’un renouvellement artistique. Et quand je chante mes chansons en tant qu’artiste solo «Bonaparte», de Pékin à Wellington, personne ne me demande quelles sont mes origines – bien que, très honnêtement, j’aime ajouter que je suis Suisse, parce que c’est ce qui me distingue de la plupart des autres artistes et que c’est une partie importante de mon être. Pour survivre, il faut avoir un esprit vigilant, absorber, puis utiliser les différents paramètres des cultures. Tout le monde peut faire cela, peu importe son origine.

«J’estime que la Suisse possède l’une des meilleures sociétés d’auteurs du monde. SUISA est l’endroit auquel j’appartiens en tant que compositeur.»

Vous vivez en Allemagne, mais vous êtes membre de SUISA qui est suisse. Pourquoi?
«J’estime – et je partage ce point de vue avec quelques auteurs étrangers – que la Suisse possède l’une des meilleures sociétés d’auteurs du monde. Je dis cela en toute bonne foi et par conviction personnelle. Par le passé, j’ai également été membre de BMI aux Etats-Unis et je fais partie d’une maison d’édition à la GEMA. Tout ça, c’est bien, mais SUISA est l’endroit auquel j’appartiens en tant que compositeur. J’ai bien aimé la période sous Poto Wegener et, grâce à son soutien, j’avais aussi commencé à cette époque à me confronter de manière plus approfondie au droit d’auteur. Les bonnes relations avec la maison SUISA sont restées, et j’apprécie énormément l’échange et le respect mutuel.

Vous enseignez à la Haute école des arts de Zurich dans la matière «Songwriting». Est-ce qu’on peut apprendre à écrire un tube? Quels conseils donnez-vous aux étudiants pour leur avenir dans la composition?
Le plus souvent, je leur conseille d’oublier tout ce qu’ils croient savoir. J’aime exprimer mon souhait qu’ils écrivent des chansons en tant que personnes et non en tant que musiciens. Bien sûr, les connaissances analytiques ou théoriques et les techniques pratiques nous aident à sortir plus rapidement des impasses musicales. Mais au fond, lorsqu’il s’agit de trouver des idées, pas grand-chose nous différencie de Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui sifflent une mélodie sous la douche le matin. On peut, bien sûr, comme pour tout dans la vie – de la position pour tenir un club de golf au Kamasutra pour l’amant – s’approprier une technique grâce à laquelle on réussit à écrire de bonnes chansons n’importe quel jour gris de la semaine. Mais de bonnes chansons, il y en a beaucoup et assez – on doit donc plutôt essayer de composer des chansons avec une touche personnelle qui interpelle; des chansons qui, même une fois accomplie l’œuvre d’une vie comme celle de Lennon-McCartney, Udo Jürgens, Igor Stravinsky et Daft Punk, sont toujours en droit de venir aux oreilles de l’humanité. On n’y arrive pas toujours, mais l’auteur-compositeur doit se lever le matin pour tenter d’écrire une chanson qui enrichit encore ce monde à sa manière.

«La chose la plus importante qui existe, encore et toujours plus aujourd’hui, c’est l’idée musicale.»

Le musicien sur la scène de concert n’est pas forcément l’auteur-compositeur, souvent oublié à côté de la star sous les feux de la rampe. Comment les compositeurs peuvent-ils sortir de l’ombre des interprètes aux yeux du public?
La question est de savoir si c’est obligatoire. Je chante uniquement les chansons que je ne peux confier à aucun autre interprète. La pression psychologique qui s’exerce sur un chanteur et interprète peut aussi être très épuisante à long terme. Un auteur-compositeur, quant à lui, peut agir en arrière-plan, être assis inaperçu quelque part devant son piano, se concentrer uniquement sur le noyau de la musique. Et croyez-moi, la chose la plus importante qui existe, encore et toujours plus aujourd’hui, c’est l’idée musicale. Rien ne vaudra jamais une chanson vraiment bien écrite, qui allie habilement artisanat et originalité. Il y a donc de l’espoir pour tous ceux qui croient avoir vu les oiseaux de mauvaise augure. Je suis très heureux de servir une douzaine de pseudonymes chez SUISA – des rôles d’auteur-compositeur dans lesquels je peux me glisser en fonction du style recherché ou de mon humeur, et dont même mes amis les plus proches ignorent les noms. Cela me plaît que la composition professionnelle reste parfois simplement un secret entre moi-même et une feuille de papier. Lorsque le musicien fait quelque chose de bizarre sur scène, tout le monde en parle le lendemain. Lorsque le compositeur compose nu un petit quatuor à cordes tout en mangeant à la cuillère deux bocaux de beurre de cacahuète, cela n’intéresse personne. Je trouve que c’est bien comme ça. Ce qui importe, c’est que nous, compositeurs, échangions entre nous et que nos droits soient représentés à travers les âges.

Composer de la musique pour des tiers ou vous produire sur scène avec Mule & Man – qu’est-ce qui vous attire dans les deux activités?
J’ai eu des phases assez élitistes dans ma vie, au cours desquelles j’estimais que seul tel genre de free jazz ou telle façon de jouer de la soul étaient dignes d’être écoutés. Mais en fin de compte, je suis malheureusement juste un poly-amoureux torturé musicalement qui aime de tout son cœur toutes sortes de musique, et qui se doit donc de participer à leur invention. Je trouve de la satisfaction aussi bien en composant des arrangements pour instruments à cordes ou à vent, des chansons de protestation, des chansons punk, de la musique de film, de la musique électronique, des bruitages expérimentaux que de la musique country pour les sourds. Cette richesse infinie de possibilités combinatoires qui existe entre le compositeur et l’auditeur me plait beaucoup.

Liens
Bonaparte, site Web officiel
Mule & Man, page Facebook officielle
Label Suisse, site Web du festival
Prix suisse de musique, site Web de l’Office fédéral de la culture

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