En seulement six semaines entre juin et juillet 2025, The Velvet Sundown a publié trois albums comprenant chacun treize chansons. En peu de temps, les chansons ont été écoutées des millions de fois en streaming. Particularité de ce succès: le «groupe» ainsi que toutes les images, textes et chansons qui y sont liés ont été créés par une intelligence artificielle (IA) générative.
Tout semble cohérent et habilement réalisé: la teinte jaune caractéristique des images générées par Dall-E correspond à une esthétique vintage, les paroles parfois kitsch de ChatGPT rappellent les chansons contestataires hippies et les artefacts sonores de Suno sont joliment masqués par le son saturé et plutôt sourd des années 70.
L’exemple du projet The Velvet Sundown permet d’aborder les nombreuses questions relatives au droit d’auteur auxquelles SUISA est de plus en plus confrontée à l’ère de l’IA générative.
Les morceaux de The Velvet Sundown sont-ils protégés par le droit d’auteur?
La loi sur le droit d’auteur (LDA) définit l’œuvre protégée comme une création intellectuelle littéraire ou artistique ayant un caractère individuel. Une œuvre susceptible d’être protégée doit donc être l’expression d’une pensée et reposer sur la volonté humaine. L’auteur/trice ne peut donc être qu’une personne physique, c’est-à-dire un être humain. Dans ces conditions, les œuvres purement issues de l’IA, tels que les chansons de The Velvet Sundown, ne bénéficient pas de la protection du droit d’auteur, et relèvent du domaine public. Exprimé de manière simplifiée, le facteur déterminant est de savoir si la composition provient d’un être humain ou d’un algorithme.
Une brève instruction donnée à un modèle d’IA afin de générer du contenu ne permet donc pas de créer une œuvre protégée par le droit d’auteur. En particulier, lorsque deux prompts identiques donnent lieu à deux mélodies complètement différentes, cela indique clairement que la mélodie n’a pas été créée par un être humain, mais par l’IA.
Il est difficile d’évaluer la protection possible lorsque la part créative humaine d’une chanson – par opposition à la part algorithmique – est suffisamment élevée et trouve son expression dans le résultat généré. Le cas échéant, la protection par le droit d’auteur peut alors être envisagée, même si l’œuvre a été créée à l’aide de l’IA. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une chanson est composée d’une musique générée par l’IA et de paroles écrites par un être humain (ou inversement). Si la partie de l’œuvre créée par un être humain remplit à elle seule les conditions requises pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, une telle œuvre hybride est considérée comme une œuvre protégée.
Peut-on déclarer de tels morceaux à SUISA?
Pour que SUISA puisse percevoir des redevances sur l’utilisation de la musique, deux conditions doivent être remplies: la musique doit être une œuvre protégée par le droit d’auteur, et le droit d’utilisation de cette œuvre doit avoir été transféré à SUISA. La déclaration d’œuvre transfère à SUISA les droits nécessaires à l’octroi de licences pour l’utilisation de la musique. En termes de protection par le droit d’auteur, la musique générée par l’IA représente un défi particulier.
Récemment, des outils qui prétendent pouvoir distinguer les morceaux créés par l’intelligence artificielle de la musique traditionnelle sont apparus sur le marché. L’analyse des morceaux du troisième album de The Velvet Sundown à l’aide d’un tel système de reconnaissance (appelé détecteur IA) montre que, selon une probabilité de 98%, les treize titres ont été générés à l’aide de Suno, une IA musicale très appréciée. Le fait que l’analyse porte sur la production et non sur la composition s’avère néanmoins problématique: on ne peut pas simplement considérer que, outre la production, le texte ou la composition contenus dans celle-ci ont également été créés par Suno.
Manquant de preuves, SUISA n’est pas en mesure de déterminer avec certitude s’il s’agit dans un cas particulier d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. Elle s’assure toutefois contractuellement qu’elle ne gère pas involontairement de la musique du domaine public: en acceptant les conditions générales de gestion, l’auteur/trice garantit à SUISA qu’il ou elle ne déclare aucune chanson générée uniquement par l’intelligence artificielle.
Dans la mesure où les chansons de The Velvet Sundown ne sont ni des œuvres composées par un être humain ni des œuvres hybrides (voir ci-dessus), mais des chansons générées uniquement par l’IA, elles ne peuvent pas être déclarées auprès de SUISA. À notre connaissance, ces œuvres n’ont été déclarées ni à SUISA ni à une de ses sociétés-sœurs.
Vous trouverez de plus amples informations sur la déclaration d’œuvres en cas d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les FAQ sur le site web de SUISA.
Peut-on télécharger des chansons générées uniquement par IA sur Spotify, par exemple?
En principe, les morceaux créés par IA qui ne sont ni protégés par le droit d’auteur ni déclarés auprès d’une société de gestion collective peuvent être téléchargés sur des services de streaming. Selon l’agrégateur – dans le cas de The Velvet Sundown, il s’agit de DistroKid –, le téléchargement de musique générée uniquement par IA peut toutefois être interdit ou seulement toléré (par exemple, iMusician). DistroKid renvoie toutefois aux conditions générales (CG) des fournisseurs d’IA. Et les conditions générales de Suno stipulent que seuls les utilisateurs/trices ayant souscrit un abonnement payant sont autorisé-e-s à utiliser les morceaux à des fins commerciales. A noter que Suno se réserve le droit d’utiliser également tout contenu généré par les utilisateurs/trices, y compris à des fins commerciales par des tiers. En outre, Suno se réserve le droit d’utiliser tous les prompts, paroles de chansons et fichiers audio saisis par les utilisateurs à ses propres fins, non seulement pour poursuivre la formation du modèle, mais aussi pour les transmettre à des tiers.
Les morceaux générés par l’IA seront-ils identifiés comme tels?
Contrairement à Spotify ou Tidal, le service de streaming français Deezer indique lorsque des morceaux ont vraisemblablement été créés à l’aide de l’intelligence artificielle. Cette mention apparaît également pour les trois albums de The Velvet Sundown. Selon Deezer, 30’000 nouveaux titres générés uniquement par l’IA sont téléchargés sur la plateforme chaque jour, ce qui correspond à une part de 28 % (situation en septembre 2025). La mention «IA» informe les auditeurs/trices de la présence de musique générée par IA, d’une part, et, d’autre part, ces morceaux n’apparaissent plus dans les recommandations éditoriales et automatisées de Deezer. Cela doit entraîner une baisse de visibilité et de portée, et donc une diminution des revenus pour la musique «IA». Une telle déclaration pourrait toutefois conduire à ce qu’une œuvre humaine soit déclarée comme «contenu généré par l’IA» en raison de sa mise en œuvre par un outil d’IA tel que Suno, car Deezer ne peut pas faire la distinction entre la composition et la production.
Les chansons pourraient-elles enfreindre les droits d’auteur d’autrui?
Si une chanson générée par l’IA tombe sous le coup de la protection d’une chanson déjà existante, il pourrait y avoir violation du droit d’auteur. Pour cela, la chanson générée par l’IA devrait soit être identique à une œuvre protégée, soit présenter le caractère individuel d’une œuvre originale. La Gema, la société-sœur allemande de SUISA, a réussi à démontrer que Suno pouvait non seulement générer des nouveautés, mais aussi des plagiats.
Il convient de distinguer le plagiat de l’imitation d’un simple procédé stylistique par l’IA générative. En musique, cela signifie que les techniques de composition et les styles peuvent être imités tant qu’aucune partie concrète d’une œuvre n’est plagiée. Les progressions d’accords, c’est-à-dire la combinaison et la succession d’accords, ne peuvent pas non plus être protégées.
L’utilisation de la musique générée par l’IA est-elle équitable?
Pour qu’un modèle musical tel que celui de Suno puisse générer des chansons, il doit avoir été préalablement entraîné à l’aide d’un grand nombre de chansons créées par des humains, ce qui, jusqu’à présent, s’est fait en grande partie sans l’accord des ayants droit. L’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur comme données d’entraînement pour les systèmes d’IA est entourée d’une grande incertitude juridique; la situation juridique doit être clarifiée à cet égard.
Une étude menée par la CISAC, l’organisation internationale qui chapeaute les sociétés de gestion collective, estime que dans le contexte réglementaire actuel, les contenus générés par l’IA auront un impact financier considérable sur le secteur créatif. Le chiffre d’affaires des entreprises spécialisées dans l’IA augmente chaque année de plusieurs millions, alors que dans le même temps les revenus des auteurs/trices diminuent de plus de 20%.
Les outils d’IA générative tels que Suno ou Udio fonctionnent sans le consentement des compositeurs/trices, auteurs/trices, arrangeurs/euses, interprètes, éditeurs/trices, labels, etc., sans divulgation des données d’entraînement et sans paiement de droits de licence. C’est pourquoi il est urgent de mettre en place un cadre juridique équitable pour la création culturelle.
La situation juridique actuelle comporte également diverses incertitudes quant à l’utilisation de contenus générés par l’IA en dehors de la sphère privée, qu’il s’agisse de violations éventuelles du droit d’auteur sous forme de plagiat ou d’infractions aux conditions contractuelles (parfois différentes) des fournisseurs d’IA, des plateformes de streaming ou des agrégateurs.



