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Nadja Räss

«Les nouvelles compositions sont importantes pour garder la tradition vivante»

«Les nouvelles compositions sont importantes pour garder la tradition vivante»
Le 18 octobre 2025, la «Clé de sol d’or 2025» sera décernée à Nadja Räss, yodleuse et professeure de chant née en 1979.
Photo: Amanda Nikolic
Texte de Markus Ganz, contributeur invité
Cette année, la «Clé de sol d’or» sera décernée à Nadja Räss. Le jury décrit cette artiste comme «l’une des yodleuses les plus polyvalentes, talentueuses et exemplaires de Suisse». Elle interprète non seulement différents types de yodels et de chants traditionnels suisses transmis oralement ou par écrit, mais aussi de nouvelles compositions, dont la majorité porte sa signature.

À quelques pas de la gare d’Einsiedeln, une grande vitrine «jodel.ch» attire immédiatement le regard. Nadja Räss ne montre aucune appréhension face aux nouveaux médias et ne considère pas le yodel comme une simple tradition à transmettre. En effet, dans ce petit local commercial, elle et son équipe enseignent le yodel sous différentes formes, y compris en ligne, et proposent même une formation vocale spécifique au yodel. Sur son site Internet, elle explique que l’on peut «oublier l’image poussiéreuse du yodel», et indique que les cours permettent d’aborder «le chant ancestral comme une forme d’expression intemporelle et polyvalente, fondée sur une technique vocale solide».

Vocation: yodleuse

Les origines de Nadja Räss expliquent sa passion pour le yodel, mais aussi son ouverture stylistique. Elle est née et a grandi à Einsiedeln, dans le canton de Schwytz. Ses parents ne sont toutefois pas originaires d’Einsiedeln; ils s’y sont rencontrés avant de tomber amoureux. «Mes parents ne sont pas musiciens, même s’ils jouaient un peu pour leur plaisir. A la maison, il y avait toujours de la musique, surtout du yodel, et apparemment, je chantais tout le temps.» Enfant déjà, Nadja voulait devenir yodleuse. C’est du moins ce qu’on lui a raconté. Mais elle sait avec certitude qu’elle a été en contact très tôt avec le yodel, et pas seulement avec la tradition de Suisse centrale.

«Mon père est originaire d’Appenzell et perpétuait avec ses frères la coutume du Silvesterklaus. Quand j’étais toute petite, nous allions donc souvent dans cette région.» Sans doute ne se rendait-elle pas vraiment compte à l’époque de l’impact de cette tradition, et ces visites ont progressivement cessé. Mais vers ses 18 ans, lorsqu’elle y retourne pour la première fois depuis plusieurs années, les souvenirs lui reviennent: « J’ai eu une sacrée impression de déjà-vu. Je crois que le Silvesterklaus m’a beaucoup marquée, car il s’agit d’une forme de yodel totalement archaïque et directe.»

Mais le chemin pour devenir yodleuse professionnelle était encore long. «Je suis entrée au gymnase avec l’idée que la maturité pourrait me servir si je voulais faire de la musique mon métier.» Ses parents lui ont permis d’aller à l’école privée de l’abbaye d’Einsiedeln au lieu de l’école cantonale de Pfäffikon (SZ). «Je savais bien sûr qu’il y avait là-bas une fantastique chorale qui chantait des chants grégoriens. Cependant, pour pouvoir y chanter une fois par semaine, je devais être enfant de chœur et me lever à 6h30.»

Une idée fascinante

On lui avait souvent dit, à l’époque, que la musique était un chemin sans avenir et exigeant, qu’il fallait absolument exercer un «vrai» métier. Nadja Räss a un temps pensé devenir institutrice, a testé un peu, avant de se rendre à l’évidence: «Non, ça ne va pas le faire du tout.» Elle a également envisagé de travailler dans la restauration; être hôtesse lui semble encore aujourd’hui un beau métier. «Mais je me suis rendu compte qu’il fallait travailler le week-end, et que je ne pourrais plus yodler.» L’idée de lier la musique à la pédagogie l’a en revanche beaucoup séduite. Après sa maturité, elle étudie alors le chant classique à l’université des Arts de Zurich et obtient en 2005 son master en pédagogie. De 2012 à 2017, elle dirige l’institution culturelle «Klangwelt Toggenburg». Passionnée par l’enseignement , elle transmet ses connaissances non seulement dans les cours de «jodel.ch», mais également comme professeure de «yodel» à la Haute École de Lucerne depuis l’automne 2018.

Mais comment concilier le chant classique et le yodel? «Il y a plus de 20 ans, il n’était pas possible de recevoir une formation pédagogique solide en jazz vocal, c’est pourquoi j’ai étudié la pédagogie du chant classique.» En quoi cela a-t-il changé sa façon de chanter? «D’une part, j’ai pu considérablement élargir la gamme de ma voix et mon horizon musical. J’ai commencé à chanter des morceaux beaucoup plus complexes au niveau des harmonies – et plus longs aussi; jusque-là, mes chants de yodel ne duraient pas plus de quatre minutes.» Au début, ce qui la déstabilisait, c’était la différence du rapport à la musique. «En musique classique, tout est soigneusement écrit. Le compositeur transcrit toutes les émotions dans la partition. Le yodel, lui, m’a été transmis par l’oreille, via une tradition orale.»

«Je fais comprendre aux étudiantes et étudiants combien il est passionnant et enrichissant de combiner ces deux approches. Ils doivent même transcrire le yodel, noter les vocalises.» Être professeure de yodel a également été bénéfique pour Nadja Räss: «Dès que j’explique quelque chose, je dois vraiment réfléchir précisément à la manière dont je le fais moi-même.» Pendant ses études déjà, elle avait remarqué que beaucoup de choses lui paraissaient naturelles, parce qu’elle les avait intégrées tout simplement, en les apprenant enfant.

Un cas pour les médecins spécialistes de la voix

Cette observation, explique Nadja Räss, l’a conduite à redécouvrir sa propre voix. Et de là est né le manuel pédagogique «Jodel – Theorie & Praxis», écrit en collaboration avec Franziska Wigger. «Nous avons même fait des analyses de voix, car de nombreuses questions se posaient, par exemple: que se passe-t-il sur le plan anatomique? Est-il vrai que le yodel peut abîmer la voix?» Pour y répondre, elle a collaboré avec des phoniatres, médecins spécialistes de la voix. Et elle continue d’apprendre encore aujourd’hui. «Parallèlement, je peux également enseigner la didactique spécialisée, autrement dit enseigner à mes élèves comment enseigner. C’est un beau cheminement de voir comment les choses évoluent.»

L’approche intellectuelle du cursus universitaire de yodel a toutefois rencontré une certaine résistance, d’autant plus qu’elle élargit le champ d’expression et, ce faisant, s’éloigne de la tradition. «Quand ce cursus a vu le jour, il y a eu des situations tendues, parfois difficiles. Et la résistance est surtout venue du milieu du yodel lui-même. Mais c’était par peur: on ne savait pas ce qui serait enseigné ni comment. Et puis, associer ‹université› et ‹yodel› semblait contradictoire en soi. C’est ainsi que l’expression ‹yodel académique› est née.»

Un jeu de nuances

À un moment donné, Nadja Räss a compris que le problème venait aussi du fait que beaucoup ignoraient ce que proposait ce cursus, ce qui n’était d’ailleurs pas très clair au début. Depuis, la situation s’est apaisée, explique-t-elle, notamment grâce à une meilleure communication. «Nous ne voulons pas diluer la tradition ou la mélanger à d’autres. Mais pour moi, il est important que, par exemple, une étudiante thurgovienne connaisse le yodel de Muotathal. Il se peut qu’un jour un chanteur de Muotathal vienne la voir et lui dise qu’il a des problèmes de voix.»

Mais n’est-il pas tentant de chanter comme à Muotathal en y ajoutant une touche appenzelloise? «Quand je chante des morceaux traditionnels, j’essaie de m’y tenir le plus fidèlement possible. Mais lorsque je chante de nouvelles compositions, c’est exactement ce genre de nouvelles nuances qui s’y invitent. C’est comme une palette de sons et de couleurs, qui s’est enrichie au fil des ans, avec mille nuances de couleurs. C’est un jeu qui se fait de manière inconsciente avec la couleur de la voix.» Et Nadja Räss insiste également : les nouvelles compositions sont très importantes pour garder la tradition vivante. «Elles sont le signe que la musique populaire continue de se développer. Je crois qu’on peut s’en inspirer. Mais pour que de jeunes pousses puissent grandir, il faut aussi connaître et prendre soin des racines.»

De nouvelles compositions, souvent collectives

Quand Nadja Räss compose, elle a la chance, la plupart du temps, de pouvoir le faire avec d’autres musiciennes et musiciens. «Lorsque nous jouons ensemble, des œuvres collectives voient le jour. Avec Markus Flückiger, nous avons longtemps tâtonné et expérimenté afin d’élaborer notre nouveau programme.» Avec Rita Gabriel, c’est elle qui réfléchit généralement à un arrangement très précis. Ces différentes approches représentent pour Nadja Räss «un processus incroyablement beau», avec également une dimension profondément sociale.

«Pour moi, l’essentiel, c’est avec qui je mène un projet.» Le trio composé de la Finlandaise Outi Pulkkinen et de l’Ukrainienne Mariana Sadovska est né il y a plus de dix ans. Elles sont parties en tournée ensemble, mais le projet a été abandonné à cause de la pandémie de Covid-19, puis de la guerre en Ukraine. «Comme nous ne sommes pas que des partenaires de chant, mais aussi des amies, nous avons décidé de tenter à nouveau l’expérience ensemble. Nous avons monté un nouveau programme avec quelques-uns de nos propres morceaux, et d’autres commandés à une compositrice ukrainienne, une suisse et une finlandaise, ce qui nous a permis de réunir des morceaux très différents.»

Dans une longue tradition

Nadja Räss a déjà reçu plusieurs distinctions, notamment le «Prix Walo» en 2014 dans la catégorie yodel, et une nomination au Prix suisse de musique en 2016. Avec la «Clé de sol d’or 2025», elle rejoint désormais une prestigieuse lignée de grands noms de la musique populaire suisse remontant à 1979. «Je suis particulièrement honorée de figurer aux côtés de modèles qui ont beaucoup compté pour mon parcours. Willi Valotti est très important pour moi. J’entretiens une longue amitié musicale avec lui: j’ai eu l’occasion de me produire et de chanter avec lui depuis que j’ai 15 ans, et cela m’a énormément marquée jusqu’à aujourd’hui.» Il lui a appris à écouter très précisément les particularités des différentes traditions du yodel. «Sans Willi Valotti et ses nouvelles chansons, je ne serais pas là aujourd’hui – et je ne recevrais pas ce prix.»

www.goldenerviolinschluessel.ch Site Internet (en allemand) de l’association Goldener Violinschlüssel (Clé de sol d’or)
www.nadjaraess.ch Site Internet de Nadja Räss (en allemand)
www.jodel.ch Site Internet de Nadja Räss et de son équipe consacré aux cours de yodel (en allemand)

SUISA soutient l’association «Goldener Violinschlüssel» (Clé de sol d’or). Celle-ci décerne cette récompense depuis 1979 dans le domaine de la musique populaire suisse.

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