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Un défi à relever

Intelligence artificielle et droit d’auteur

Intelligence artificielle et droit d’auteur
Pour les applications d’IA, il faut une clarification des questions de droits d’auteur.
Photo: faithie / Shutterstock.com
Texte de Noah Martin
L’intelligence artificielle apporte incontestablement des innovations non négligeables. Dans le contexte d’une évolution rapide de la technologie, le droit d’auteur est confronté à des questions spécifiques, notamment en ce qui concerne l’utilisation par des applications d’IA d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Il est également nécessaire de clarifier la situation juridique des produits générés par l’IA.

Les résultats de la création artistique ne sont pas seulement une forme d’embellissement d’une société, ils ont également une grande importance économique. La musique, par exemple, n’est pas là de manière naturelle; elle doit être créée. Et une telle «création» n’est pas gratuite, dans tous les sens du terme.

Le droit d’auteur est l’un des rares outils permettant de monétiser les prestations créatives. Il protège les œuvres littéraires et plus largement artistiques, dont la musique. La loi sur le droit d’auteur ne règle pas seulement la protection, mais aussi l’accès aux œuvres et la limitation de la protection. Si l’accès était totalement interdit, la science et la création seraient entravées, car il serait plus difficile de se confronter à ce qui a été transmis. Par conséquent, les questions de droit d’auteur se situent toujours dans un champ de tension entre le besoin de protection et le besoin de liberté.

L’intelligence artificielle (IA) est un nouveau défi à relever dans ce domaine. Du point de vue du droit d’auteur, deux aspects sont particulièrement intéressants en ce qui concerne les applications de l’IA générative. Premièrement, en considérant l’input: pour l’entraînement de l’IA, les œuvres protégées par le droit d’auteur sont importées dans une base de données. Deuxièmement, en considérant l’output: l’IA crée de nouveaux biens immatériels.

Input – l’alimentation de la base de données de l’IA

L’intelligence artificielle peut certes créer de nouveaux éléments, mais pas à partir de rien. Elle se procure la «matière première» nécessaire à cet effet dans sa base de données. Et cela inclut, entre autres, des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Selon le droit suisse, les auteurs ont le droit exclusif de décider si, quand et comment leurs œuvres seront utilisées, en particulier copiées (reproduites). Les exploitants d’applications d’IA ont donc en principe besoin d’une licence ou de l’accord des ayants droit pour pouvoir copier des œuvres dans leur base de données afin d’entraîner leurs algorithmes.

L’alimentation de la base de données de l’IA pourrait être conforme au droit si une disposition légale restrictive était applicable. Entre en ligne de compte, par exemple, la restriction du droit d’auteur concernant l’utilisation d’œuvres à des fins de recherche scientifique (art. 24d LDA). L’utilisation de l’IA pour la recherche scientifique n’est pas fondamentalement exclue. Cependant, les applications de l’IA ne sont généralement pas conçues dans ce but. La restriction concernant la science ne s’applique donc pas dans la plupart des cas. Dans ces conditions, l’autorisation des ayants droit devrait être obtenue pour les reproductions effectuées.

Une incertitude existe en ce qui concerne la manière de gérer les différences juridiques spécifiques à chaque pays. En droit européen, l’exception concernant la fouille de textes et de données permet davantage que l’exception scientifique suisse et s’applique également à l’alimentation des bases de données de l’IA. Les titulaires de droit concernés disposent toutefois d’une possibilité d’opt-out. Cela signifie qu’ils peuvent tout de même déterminer si, quand et comment les fournisseurs d’IA peuvent utiliser leurs œuvres lorsqu’ils font usage de leur opt-out.

Le modèle européen semble discutable, car la vérification de l’utilisation des œuvres pour lesquelles il a été fait usage de l’opt-out est difficile à mettre en œuvre en raison du manque de transparence (mot-clé: boîte noire de l’IA). Néanmoins, il pourrait permettre d’amener les acteurs de ce secteur en pleine croissance à la table des négociations – afin de discuter d’une rémunération, en d’autres termes d’une redevance de licence en faveur des créateurs/trices.

Output – création artistique ou artificielle?

Tel élément créé est-il de l’art ou non? Ce n’est pas au droit d’auteur d’en juger. Mais il revient au droit d’auteur de définir sous quelles conditions l’art est protégé. Et cette question est particulièrement intéressante en ce qui concerne les créations générées par l’IA, ce qu’on appelle l’output.

La loi sur le droit d’auteur définit l’œuvre protégée comme une création de l’esprit, littéraire ou artistique, ayant un caractère individuel. Pour être protégée, une création doit donc être une création de l’esprit, à savoir immatérielle, mais aussi «spirituelle» dans le sens où elle repose sur une activité mentale. En même temps, cette activité intellectuelle doit être créative, c’est-à-dire que le produit doit être nouveau en ce sens qu’il trouve son origine dans l’esprit de son auteur.

Pour qu’il y ait création de l’esprit, il faut donc que quelque chose d’immatériel soit créé par la pensée. L’IA génère bien des éléments immatériels, mais elle ne le fait pas par la pensée – cette faculté est réservée à l’être humain – et ce qu’elle crée ne trouve pas son origine dans l’esprit d’une personne physique (auteur), mais dans un algorithme, certes complexe. Les créations provenant purement de l’IA ne sont donc pas protégées par le droit d’auteur.

Cette question doit être considérée différemment lorsque l’IA ne fournit pas un produit fini, mais sert uniquement d’outil, l’être humain restant maître du processus de création. Ce serait le cas, par exemple, si l’IA ne fournissait qu’une idée, qui ne serait que le point de départ de la création d’une nouvelle œuvre. Il convient alors d’examiner au cas par cas si l’on est en présence d’une création intellectuelle littéraire ou artistique à caractère individuel. Si ces conditions de protection de l’œuvre sont remplies, il s’agit d’une œuvre protégée par le droit d’auteur malgré l’utilisation d’une IA.

Perspectives

La gestion individuelle des droits d’auteur est généralement difficile, mais elle l’est particulièrement dans le contexte de reproductions dues à l’IA. Depuis cent ans, l’activité de SUISA est la gestion collective des droits que lui ont cédés ses sociétaires et mandants/tes. Contrairement à la gestion individuelle, la gestion collective présente l’avantage de pouvoir faire valoir de nombreux droits individuels de manière groupée.

SUISA ne rompra pas avec cette tradition en ce qui concerne l’utilisation des œuvres dans le contexte de l’IA. Elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour garantir que les auteurs/trices, les éditeurs/trices et les paroliers/ères d’œuvres musicales soient rémunérés dans les meilleurs délais et conformément à la loi. Néanmoins, avant que des licences pour des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur puissent être appliquées lors d’utilisations en lien avec l’IA, certaines incertitudes juridiques devront encore être clarifiées, notamment par le biais d’évaluations judiciaires, de recherches scientifiques, de législation ainsi que de comparaison juridique internationale et d’échanges d’informations.

SUISA s’implique et continue de participer aux discussions en ce domaine; grâce à son expertise, elle coopère activement au débat juridique et politique, entretient et renforce ses relations internationales au sein d’associations faîtières et directement avec des sociétés sœurs étrangères, s’engage dans des groupements d’intérêts nationaux spécifiques. Elle développe constamment sa stratégie en matière d’IA et est donc confiante dans sa capacité à relever ce nouveau défi pour le compte et au profit de ses sociétaires et mandants/tes.

Communiqué de presse, 11 mars 2024: «Intelligence artificielle: SUISA s’engage pour une digne rémunération de ses membres» (PDF, 96 KB)

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