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«Avec un film contenant de la musique africaine, j’aurais probablement été plus libre»

«Avec un film contenant de la musique africaine, j’aurais probablement été plus libre»
Niki Reiser a reçu le 7 août le Prix de Musique de Film de la FONDATION SUISA lors du Festival international du film de Locarno, et cela pour la troisième fois. De g. à d.: Mario Beretta (président du jury du Prix de Musique de Film), le lauréat Niki Reiser et Urs Schnell (Directeur de la FONDATION SUISA). (Photo: Otto B. Hartmann)
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Le compositeur suisse Niki Reiser a reçu le 7 août 2016 le Prix de Musique de Film de la FONDATION SUISA (25'000 francs) dans le cadre du Festival international du film de Locarno. Le Prix lui a été décerné pour la musique du film «Heidi» réalisé par Alain Gsponer. Le processus de composition pour cette musique de film a constitué un défi particulier pour Niki Reiser. Il raconte en interview que les deux thèmes «Heidi» et «Suisse» l’ont quelque peu bloqué au départ.

Niki, grâce à la bande-son du film «Heidi», tu as gagné pour la troisième fois le Prix de Musique de Film de la FONDATION SUISA. Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris que tu avais gagné ce Prix?
J’ai bien entendu ressenti une grande satisfaction. La première récompense reçue de la FONDATION SUISA pour mon travail remonte à 2001. C’est très gratifiant de savoir que, 16 ans plus tard, mon travail est toujours apprécié et reconnu. Cela confirme que je suis encore dans le coup. Et le fait que le Prix soit attribué par un jury très compétent représente beaucoup pour moi.

Les compositeurs de musiques de film sont en règle générale un peu en arrière-plan. Le public connaît surtout les acteurs et le réalisateur. Est-ce important pour toi qu’une telle distinction puisse faire connaître ton travail de création?
Bien sûr, c’est réjouissant. Mais ce que j’apprécie encore plus, c’est quand des spectateurs viennent vers moi après avoir vu un film et me disent qu’ils ont prêté une attention particulière à la musique. Cela signifie que, pour eux, la musique n’est pas passée inaperçue et c’est important pour moi. On entend parfois l’affirmation suivante: «la bonne musique de film est celle qu’on ne perçoit pas.» Dans ma démarche, je souhaite que la musique de film soit perçue et bien présente, mais sans qu’elle soit au premier plan. Pour moi, cette distinction est un peu la cerise sur le gâteau. Mais ce qui est encore plus enthousiasmant, c’est que des personnes continuent à venir me voir et me disent: «La musique de ce film m’a beaucoup plu.» La musique n’est donc pas seulement en arrière-plan.

En tant que flûtiste, tu t’es produit par le passé avec différents groupes et tu as pu jouer tes propres compositions en direct pour un public. Ce contact direct avec le public te manque-t-il?
Ce qui me manque surtout, c’est d’avoir la possibilité de faire évoluer des compositions propres et de les interpréter différemment soir après soir. Avec la musique de film, c’est différent: une fois enregistrée et mixée, il n’est plus possible de la modifier. Dans le cas de la musique live, un morceau peut être modifié en cours de route – cet aspect me manque beaucoup. D’un autre côté, le travail au sein d’un groupe implique forcément certaines limites thématiques, ce qui n’est pas le cas avec la musique de film. Pour chaque film, il y a un autre thème.

Dans ton discours de remerciement lors de la cérémonie de remise du Prix, tu as expliqué que le processus de composition avait été difficile pour toi. En quoi ce processus a-t-il été particulier? Quelle approche as-tu adopté pour la composition de cette musique de film?
Ce qui a été particulier dans ce cas, c’est que les thèmes «Heidi» et «Suisse» m’ont davantage bloqué qu’inspiré dans un premier temps. En outre, il faut constater qu’on est beaucoup plus critique face à quelque chose qui nous est proche, avec une tendance à baisser les bras en disant: «cela ne convient pas et je ne vais rien trouver de satisfaisant.» Il y a une forme d’autolimitation. Si j’avais travaillé pour un film contenant de la musique africaine, j’aurais probablement été plus libre, car la proximité aurait été moins intimidante. Au début, j’ai connu de grandes difficultés. Le film commence avec une scène de vol. La consigne était la suivante: «compose quelque chose de léger, d’aérien.» Dans de telles circonstances, toutes mes écoutilles se ferment, car cela paraît être un défi insurmontable. L’essence de la musique est arrivée petit à petit, après de nombreux essais.

Tu as donc reçu des consignes concrètes sur la question de savoir comment la musique devait sonner?
Pas sur comment elle devait sonner, mais sur ce qu’elle devait provoquer. La musique devait transmettre de la légèreté et un aspect de flottement. En même temps, il fallait qu’elle exprime de la nostalgie, et comporter également une dimension de consolation. Mais plus les adjectifs se bousculent dans mon esprit et moins cela laisse de la place à l’inspiration musicale. Le plus souvent, un déclic a lieu lorsque la réflexion cesse, et quand je commence à composer. C’est seulement en jouant que les thèmes musicaux sont apparus.

Film pour enfants, film patriotique, belles images du monde alpestre – n’est-on pas tenté de recourir à des clichés musicaux?
Pas de doute, les images sont magnifiques. Si j’avais composé de la musique typiquement suisse, le tout aurait pu ressembler à un film publicitaire. Dans ces conditions, nous avons décidé d’éviter la jovialité des tonalités majeures et l’esprit suisse typique. Ce n’est pas que je n’aime pas les mélodies suisses, mais je ne voulais pas m’inscrire dans une tradition de mélodies populaires. En recourant à des tonalités mineures, nous ouvrions la porte à une dimension dramatique. Heidi est également un drame, et pas seulement un film pour enfants.

Il existe de nombreuses versions filmées de Heidi. En outre, certaines mélodies sont associées à cette histoire. La plupart des personnes vivant en Suisse ont un lien avec ce récit – et cela également pour les aspects musicaux. Est-ce que cela a influencé ton travail?
Non. Délibérément, je n’ai pas regardé les anciens films de Heidi. D’une part, pour ne pas être influencé et, d’autre part également pour ne pas me limiter; il peut arriver qu’on ne fasse pas telle ou telle chose uniquement parce que d’autres ont déjà fait un travail similaire. J’ai raconté l’histoire en me basant sur le personnage de Heidi. C’est-à-dire que la musique accompagne les émotions de Heidi et reflète en quelque sorte ses états d’âme. C’est donc davantage une histoire émotionnelle qu’une histoire helvétique. J’ai essayé de  créer une musique qui correspondrait aux émotions ressenties par un enfant.

Tu as composé une musique de film pour la première fois il y a 30 ans. Dans l’intervalle, la technique a beaucoup changé. Comment cela a-t-il influencé ta manière de travailler?
Pour Heidi, cela n’a eu aucune influence; j’ai enregistré chaque instrument en direct et n’ai utilisé aucun outil technique. Pour d’autres films, surtout des films plus modestes, les méthodes de travail ont davantage changé. J’ai la possibilité d’enregistrer et de retravailler la musique directement à mon domicile. Je peux ainsi créer toute la production pour un film sans sortir de chez moi! Le travail de composition n’a pas été modifié par l’évolution technologique. Il s’agit toujours de trouver des thèmes et des sons. En revanche, le processus de dialogue avec la table de montage a changé. Lorsque j’ai composé quelque chose, je peux envoyer par Internet des fichiers entiers avec des images et du son et discuter de questions de montage une demi-heure plus tard sur Skype. Par le passé, il fallait envoyer des bandes par la poste. Cela durait une semaine jusqu’à l’arrivée du matériel et une autre semaine jusqu’à ce que le réalisateur réagisse. La communication est devenue beaucoup plus rapide. Cela a également des aspects négatifs: par le passé, lorsque tout n’était pas encore numérique, le temps à disposition pour développer un travail était plus long. Aujourd’hui, tout va plus vite. Cela signifie que les idées doivent également germer plus vite.

Tu es membre de SUISA depuis 1986. En tant que compositeur, en quoi cette affiliation t’est-elle utile?
Je peux en toute confiance compter sur un revenu de base. En fait, il s’agit là de mon revenu principal. Les revenus tirés des films et les honoraires ne me suffiraient pas pour vivre. Les redevances de droit d’auteur garantissent que les comptes s’équilibrent à chaque fois en fin d’année. Parmi mes collègues, certains me disent que je devrais adhérer à la GEMA, parce que beaucoup de mes œuvres sont diffusées en Allemagne. Je ne sais pas si je vais changer un jour. SUISA n’est pas une gigantesque machine ; le personnel peut ainsi réagir plus rapidement.

Niki Reiser est né en 1958 à Reinach dans le canton d’Argovie et a grandi à Bâle. C’est par la pratique de la flûte traversière qu’il découvre sa passion pour la musique et il commence dès l’adolescence à composer pour divers groupes et formations musicales. Après la maturité, il suit des études au célèbre Berklee College Of Music de Boston (États-Unis), où il étudie le jazz et la composition classique, avec comme spécialisation la musique de film. C’est notamment grâce à ses longues années de collaboration avec les réalisateurs Dani Levy et Caroline Link que Niki Reiser se fait ensuite un nom dans le monde du cinéma allemand et international. Ses œuvres ont entre autres été récompensées à cinq reprises par le Prix du Film Allemand. Niki Reiser vit et travaille à Bâle, la ville de son enfance. (Texte: FONDATION SUISA) www.nikireiser.de
Le Prix de Musique de Film de la FONDATION SUISA (CHF 25’000) récompense des efforts extraordinaires dans le domaine de la composition de musique de film et a pour but de soutenir et de faire connaître les lauréats et lauréates tant sur le plan national qu’international. Le Prix est attribué chaque année en alternance dans les catégories long-métrage de fiction et film documentaire. Il est remis dans le cadre du Festival international du film de Locarno.
Composition du jury du Prix de Musique de Film 2016 de la FONDATION SUISA
• Président: Mario Beretta (compositeur de musique pour la scène et de musique de film, Zurich)
• Jürg von Allmen (ingénieur du son, Digiton Tonstudio, Zurich)
• André Bellmont (compositeur, chef d’orchestre, professeur à la Haute Ecole d’art de Zurich)
• David Fonjallaz (producteur de films, Lomotion AG, Berne)
• Zeno Gabaglio (compositeur et interprète, Vacallo)
• Corinne Rossi (directrice Praesens-Film AG, Zurich)
• Yvonne Söhner (responsable de production Baloise Session, festival de musique à Bâle, Ehrendingen)

Petit film sur Niki Reiser et sa musique de film pour «Heidi», sur Art-tv.

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